Les démons, tome 2

« — Vous avez déjà regardé une feuille ? Vraiment regardé ?
— Oui.
— L’autre jour, j’en ai vu une : jaune, encore un peu verte, déjà piquée de moisissures sur les bords. Le vent la portait… Et je me suis revu à dix ans. En hiver, je fermais exprès les yeux pour imaginer une feuille — verte, brillante, traversée de ses nervures, avec le soleil qui scintille dessus. Puis j’ouvrais les yeux, et j’avais du mal à y croire, parce que c’était si beau… alors je les refermais.
— Qu’est-ce que c’est ? Une allégorie ?
— Non… pourquoi ? Ce n’est pas une allégorie. Une feuille, c’est… juste une feuille. Et c’est déjà beaucoup. Tout est là. »
(Kirillov et Stavroguine)

Faibles, médiocres, ternes, les figures de ce drame, une conspiration nihiliste dans une ville de province sans éclat, tournent toutes autour de Stavroguine : personnage baudelairien, « homme de l’orgueil, homme du défi, mais d’un défi lancé dans le vide ».

Car ce roman, comme le souligne le traducteur, « n’existe peut-être que pour troubler, désorienter, emporter, faire tournoyer, tournoyer encore, saisir des éclairs, et, à la fin, après plus de mille pages de tempête, dans une sorte de bouffonnerie indifférente, même pas grinçante, non, franchement grotesque, abandonner le lecteur, essoufflé, avec… rien. Possédé. »